La critique récurrente faite à ceux qui parlent d'islamophobie (2.) est qu'ils sont les porteurs d'un concept qui produirait du communautarisme. Nous disons que l'islamophobie est la politique de l'Etat envers de nombreux fils d'immigrés. Cette politique, il l'avait déjà expérimentée avec certains colonisés. L'islamophobie est bien un instrument de la domination, ce que le Palestinien Edward Saïd décrivait comme « la longue histoire d'intervention impérialiste de l'Occident dans le monde islamique, de l'assaut continu contre sa culture et ses traditions qui constitue un élément normal du discours universitaire et populaire, et (peut-être le plus important) du dédain ouvert avec lequel les aspirations et souhaits des musulmans, et particulièrement des Arabes, sont traités (3.) » Dans la parfaite lignée de la structure de « l'orientalisme », l'Occident disqualifie l'Orient par le prisme de l'islamophobie et régénère par là sa pseudo-supériorité morale. Assumée ou dissimulée, cette structure de pensée gangrène une vaste partie du champ politique progressiste.

L'islamophobie n'est donc pas un concept flottant manié par des militants mal intentionnés, comme certains réactionnaires se plaisent sournoisement à l'inventer, mais une politique de la domination, de l'Etat post-colonial, qui imprime les corps des dominés. Dénoncer l'islamophobie n'est pas non plus l'apanage d'une communauté qui chercherait à se défendre. C'est au contraire un langage raciste de peur permanente qui désigne le paria sous les traits imprécis du musulman. A Salman Rushdie qui affirme lui aussi que l'islamophobie n'existe pas, car les musulmans ne sont pas une race, il faut rappeler, à lui et à tous ceux qui connaissent si mal l'histoire du racisme en Europe, que l'antisémitisme concerne les juifs, qui ne sont pas non plus une race.

Ce langage voudrait aussi imposer une assignation : tout arabe, tout africain, ou parfois tout être, ayant l'islam comme part de sa culture et comme part de son histoire serait un être essentiellement réactionnaire, fondamentalement religieux, et donc incompatible avec les principes fondamentaux républicains - principes par ailleurs complètement désincarnés, qui ne servent que pour justifier cette exclusion. Comme l'a montré Frantz Fanon, le colonisé, « par l'intermédiaire de la religion, ne tient pas compte du colon ». « Par le fatalisme, toute initiative est enlevée à l'oppresseur, la cause des maux, de la misère, du destin revenant à Dieu. L'individu accepte ainsi la dissolution décidée par Dieu, s'aplatit devant le colon et devant le sort et, par une sorte de rééquilibration intérieure, accède à une sérénité de pierre (4.) »